La chambre
La Guiablesse, avant même que la lune ne se couche, prend part à son trantran habituel. Après s’être longuement étiré dans son lit haut perché, elle se lève, ouvre la moustiquaire par un mouvement nonchalant vers le haut, descend à l’aide de son ti’ban, et pousse les braises sous les cendres du ti’feu placé sous son lit.
Celui-ci sert à chasser les moustiques. Pour sortir de sa case et se diriger vers son bain du matin, elle entreprend d’ouvrir tous les volets à persiennes qui séparent sa chambre du reste de l’habitation.
La salle d’eau pt.1
Tout en sortant de sa case, elle empoigne la serviette suspendue aux lambrequins et rejoint son bain, d’où l’eau arrivait par une chaîne de pluie connectée à la toiture à quatre pans. Sans surprise, le bain est déjà rempli.
Cette nuit, la pluie a de nouveau frappé, et ce matin encore, la Guiablesse va pouvoir s’abandonner au sort de son bain démaré, rempli de toute sorte de feuilles et de fleurs magiques. L’air frais du matin à rafraichi l’eau. La Guiablesse se dirige vers son ti’feu transportable qu’elle récupère sous son lit pour le raviver.
Elle empoigne les deux anses et le place sous le bain en hauteur, qui en sera réchauffé. La sensation de l’eau légèrement chaude sur sa peau nue est un délice. Un plaisir qui se mélange divinement aux sons crépusculaires mêlant le dernier chant des gounouys et le premier des pipiris.
Dans son bain, la Guiablesse peut encore admirer la lune marcher sur l’eau, lorsque tout à coup, elle se met à courir pour disparaître et laisser place au grand soleil.
La salle occulte pt.1
Après son bain, la Guiablesse prend le temps de se poser sous sa galerie, dans sa dodine, pour prendre la pipe, la déguster et la savourer à plein poumon. Elle pose sa serviette de bain sur l’unique accoudoir de sa berceuse créole, et prend le temps de hacher les feuilles de tabac séchées, qu’elle introduit dans sa jolie pipe en bois.
Elle empoigne un des flacons de sa collection d’huiles essentielles et de parfums pour laisser tomber une goutte sur quelques-uns des blocs d’argile qui composent le mur qui lui fait
face. L’odeur mélangée du vétiver, du ricin, du tabac, du roucou et du sucre remplisse désormais ses narines.
Tout en vapotant, son petit sabot touche le sol rocailleux en cadence. Elle a le sentiment de se faire bénir par Vaval lui-même, avec ce soleil levant qui lui réchauffe partiellement le visage. Puis, ce vent frais qui lui caresse la peau et se mêle aux arbres alentours pour lui chuchoter des mots d’amour. Cette ambiance la berce.
Ce tableau envoûtant, qu’est son jardin à travers un encadrement de bois, la transporte dans un monde parallèle.
La cuisine pt.1
La journée commence enfin. Avant de se mêler à ses occupations journalières, la Guiablesse se dirige dans sa cuisine, empoigne sa casserole d’argent suspendue, et jette l’eau de la veille dans le jardin par un mouvement de poignée naturel. Elle la remplit de nouveau d’eau potable dans son bassin à lavandé.
Une fois encore, une eau potable qui aura été récoltée les jours de pluie, par un système de réserve en cascade. Des gouttières, l’eau tombe dans une grande muraille de pierre, qui contourne l’ensemble de la case à travers le jardin.
De grandes jarres sont connectées à celle-ci et déversent leur trop-plein l’une dans l’autre pour rejoindre le bassin. La Guiablesse aime prendre toute sorte d’infusion au cours de la journée, et cela, de bon matin.
Elle se dirige dans son jardin, pour y récolter le gwozèy péyi, la brisée ou encore l’à-tous-maux afin de les infuser dans une eau bien chaude qu’elle accompagne d’une pomme cannelle et d’une délicieuse carambole, le tout posé sur un tray de bois.
La salle d’eau pt.2
Sa matinée se résume à l’occupation de son Eden, mais pas que. La Guiablesse est également préoccupée par son rituel de beauté. Puisque cet après-midi, Madame de toute splendeur, ira se balader aux champs, afin d’attirer, une nouvelle fois encore, une âme innocente dans son antre.
C’est dans sa pièce d’eau qu’elle prend le temps de cacher sa hideur et de se transformer en une toute autre femme. Au-dessus de son bassin, elle se rince le visage, lave sa bouche, et s’applique une panoplie d’huiles merveilleuses sur le corps, le visage, les cheveux…
C’est ensuite qu’elle enfile son plus bel accoutrement soigneusement suspendu à la charpente. Sa tenue se compose d’un jupon blanc en coton sur lequel vient se placer une jupe noire satinée. En haut, une titane blanche en dentelle laisse apparaître ses épaules lisses et dorées.
Sa longue chevelure miellée par le soleil est retenue par un ensemble de pinces, dont le tout est recouvert d’une grande coiffe composée d’une pointe, signifiant que son coeur est à prendre aux yeux de ses potentielles victimes.
La cuisine pt.2
Avant de partir à la “chasse”, la Guiablesse prépare son déjeuner. Dans la cuisine, le canari bout sur le grand feu, ploc, ploc, avec une bonne odeur de piment. Dans son garde-manger suspendu, elle récupère des ignames qu’elle coupe en morceaux.
Plein de fruits, de légumes, d’arômes sont suspendus çà et là, prêt à être “cueillis” pour être jetés dans le grand canari. Une partie des aliments frais sont lotis dans le frigo du désert disposé derrière le potager traditionnel. Ce dernier est central et permet à la Guiablesse de cuire son potage à l’aide des bûches placées en dessous.
Le repas préparé, elle s’installe sur le grand tray avoisinant et mange avec lenteur et parcimonie, afin d’éviter d’étouffer de chaleur sous le soleil de midi lorsqu’elle sera de sortie.
La salle occulte pt.2
En rentrant, elle suspend le long d’une des colonnes de sa case, son balai, et dispose le coutelas, qu’elle a récupéré de sa victime, parmi sa collection. C’est le moment pour elle de faire appel au monde occulte.
Elle empoigne son vieux tarot et commence à les battre énergiquement tout en s’asseyant sur son tabouret à proximité de son guéridon. Cette salle est envoûtante, le rideau et les amulettes suspendues s’agitent et créent une atmosphère surnaturelle chargée de magie, d’esprits, de démons et de dieux tribaux.
La salle de jeux
Vers la fin de l’après-midi, deux des plus proches acolytes de la Guiablesse, Papadjab et Kokozombi, ses compères carnavaliers, viennent rendre visite à leur plus vieille amie. Ils disposent leur bakoua sur la colonne à chapeaux et s’installent sur la table de jeux.
Ils se rejoignent quotidiennement pour se raconter les milans du moment tout en jouant aux dominos. Makrel dans l’âme, l’hôtesse prend un malin plaisir à écouter ces histoires. Mais également à en raconter, étant connue pour ses talents de conteuse.
Les personnes étaient absorbées par ses paroles, parfois diaboliques et pourtant parfois bien sages. Elle leur offre un grand verre de tafia avant de les mettre tous les deux cochons.
Le fromager
Le soir venu, Tit Pocame, le petit garçon du coin, profite que sa marraine est le dos tourné pour rendre visite à la Guiablesse. Celle-ci ne veut pas que son filleul rende visite à sa voisine, réputée pour ses mauvais présages. Tit Pocame est un beau petit nègre. Ses cheveux font mille petits zéros.
Pieds nus, il rejoint la case de sa conteuse préférée. Tous deux s’installent sous le grand fromager, autour d’un feu généreux qui crépite avec toutes sortent de bois parfumé, gaïac, santal, acajou, canneliers et ébène verte. Face à elle, elle place un ti’ban sur lequel peut s’asseoir Tit Pocame le temps d’un conte.
L’arbre majestueux sous lequel ils se trouvent, le feu et le son du tamtam que produit le tambour qu’elle installe entre ses jambes, invite les esprits à venir participer aux histoires folkloriques. Tout en mettant son vieux chapeau bakoua contre le serin, elle commence:
Bonbonne fois ! Trois fois bel conte (“il était une fois”).
La Guiablesse: Yékrik !
Ti Pocame: Yékrak !
Tit Pocame frissone, rit, trépigne, applaudit, chante avec la Guiablesse.
Au cours du conte la conteuse crie: ”la cou dô ?”
Tit Pocame: “non la cou dô pas !”
Et le conte continue de plus belle
La table domino
Le tabouret de la Guiablesse
Les jarres en cascade
Le ti’feu
Prototype tabouret et porte-pipe
Maquette case blanche
Prototype dominos
Prototype mur d’argile ajouré